Manager autrement : la voie Zobrist

S’il fallait nommer une figure emblématique capable d’avoir insufflé l’envie de manager autrement en France, ce serait sans conteste Jean-François Zobrist. Ancien directeur général de FAVI, une fonderie picarde spécialisée dans la production de pièces en laiton et en aluminium pour l’industrie automobile, il a bouleversé les codes du management traditionnel en misant sur une ressource trop souvent négligée : la confiance.

Un pionnier du management par la confiance

De 1983 à 2009, Jean-François Zobrist a transformé FAVI en un véritable laboratoire vivant du management libéré. À contre-courant du modèle hiérarchique classique, il a instauré une culture d’entreprise où l’on croit en l’humain, avec pour devise :
« L’homme est bon. »

L’homme est bon. Ce n’est pas naïf. C’est un acte managériale

J.F. Zobrist

Son pari ? Supprimer les couches inutiles de contrôle et libérer l’intelligence collective sur le terrain.

Les grands principes de son modèle :

  • Équipes autonomes : Chaque équipe était responsable de son client (Peugeot, Volvo…), et gérait elle-même son organisation.
  • Suppression de la hiérarchie : Les structures de contrôle ont été remplacées par la responsabilisation.
  • Focus client permanent : Les décisions étaient guidées par le bon sens opérationnel, non par des procédures rigides.
  • Allègement de la bureaucratie : Fini les pointeuses et les règles absurdes ; place à la fluidité et à la simplicité.

Une reconnaissance qui dépasse les frontières industrielles

Si son approche a d’abord émergé discrètement dans une PME industrielle, elle a rapidement fait parler d’elle. À partir des années 2000, Jean-François Zobrist a partagé son expérience à travers :

  • Des conférences inspirantes
  • Des témoignages dans des publications
  • Son livre « La belle histoire de FAVI »
  • Et même une influence dans l’ouvrage de Frédéric Laloux : Reinventing Organizations, qui popularise les organisations opales, auto-organisées et centrées sur le sens

En quoi son management est-il si différent ?

Le modèle de Zobrist se démarque par une philosophie profondément humaniste :

1. La confiance avant tout

Il supprime les dispositifs de surveillance, persuadé que les salariés donnent le meilleur quand on leur fait confiance.

2. Des équipes responsables

Pas de managers intermédiaires. Les équipes auto-organisées pilotent elles-mêmes leur activité, leur qualité et leurs processus d’amélioration.

3. Le bon sens comme guide

À la place des procédures, il pose cette question simple :
« Que ferait un bon père de famille ? »

4. Un engagement décuplé

L’absence de contrôle favorise une implication directe dans la stratégie, des primes collectives justes, et une fierté d’appartenance.

5. Des résultats durables

FAVI est restée rentable et compétitive face à la concurrence asiatique, grâce à une production souple, rapide et de haute qualité.


Un modèle qui a inspiré d’autres entreprises françaises

En remettant la confiance, le bon sens et l’humain au cœur de l’entreprise, Jean-François Zobrist a ouvert un chemin que d’autres continuent de tracer. Le modèle FAVI reste une référence pour celles et ceux qui aspirent à manager autrement, avec respect, efficacité et conscience.

Plusieurs entreprises françaises ont repris les principes du management libéré avec succès :

1. Chrono Flex (Groupe Inov-On)

Secteur : Réparation de flexibles hydrauliques
Dirigeant : Alexandre Gérard

En 2009, en pleine crise économique, Alexandre Gérard décide d’abandonner la pyramide managériale. Il supprime les postes intermédiaires, donne le pouvoir aux techniciens de terrain, et construit un modèle basé sur la confiance, l’autonomie et la raison d’être. Les équipes s’auto-organisent et prennent part aux décisions stratégiques.

Étude de cas : Chrono Flex et la contagion du modèle Zobrist

Inspirée directement par FAVI et Jean-François Zobrist, l’entreprise Chrono Flex a mis en place une gouvernance libérée après une crise sévère. Plutôt que de recentraliser, la direction a parié sur l’autonomie et la confiance. Les équipes ont pu définir leurs propres modes de fonctionnement, choisir leurs managers, et décider de la stratégie de terrain. Résultat : une entreprise redressée, plus humaine, et une performance durable.

Cette expérience est détaillée dans l’article « Le management libéré », où l’on explore ce qui fait tenir ce type de transformation dans le temps, au-delà de l’effet de mode.

A retenir :

  • Suppression de la hiérarchie intermédiaire
  • Décisions participatives
  • Forte culture du bien-être
    Résultat : sortie de crise en 2009, croissance relancée

2. Poult

Secteur : Biscuiterie industrielle
Dirigeant : Carlos Verkaeren

Carlos Verkaeren transforme Poult en une organisation agile, supprimant la hiérarchie rigide. Les ouvriers participent aux décisions d’investissement, à la stratégie, et même à l’innovation produit. Poult devient un exemple emblématique de collaboration transversale et co-définition des règles du jeu.

A retenir :

  • Autonomie complète des équipes
  • Hiérarchie horizontale
  • Innovation collaborative
    Résultat : différenciation sur un marché concurrentiel

3. Harley-Davidson France

Secteur : Automobile / Moto
Dirigeant : Jean-Luc Degrémont

Sous la direction de Jean-Luc Degrémont, Harley-Davidson France avait amorcé une transformation managériale inspirée de Jean-François Zobrist. L’objectif était de renforcer l’autonomie des équipes, de fluidifier la prise de décision et de replacer la confiance au cœur de la relation travail. Cette orientation avait permis une implication accrue des salariés dans la stratégie, dans un esprit plus horizontal et collaboratif.

A retenir :

  • Décisions décentralisées
  • Participation des salariés à la stratégie
    Résultat : transformation culturelle significative

Depuis la nomination en 2024 de Romain Mazué à la direction générale, aucune information publique ne permet de confirmer la continuité de ce modèle managérial.

4. Sogilis

Secteur : Développement logiciel
Dirigeant : Xavier Vanderbeck

Sogilis incarne une entreprise technologique fondée sur les valeurs du management libéré : suppression des couches hiérarchiques, équipes auto-organisées, autonomie des développeurs dans le choix de leurs projets et décisions collectives sur la stratégie.

Loin de la culture du reporting, Sogilis place la qualité, la responsabilité individuelle et la confiance au cœur de son modèle. Chaque collaborateur est traité comme un professionnel pleinement responsable, en lien direct avec le client, dans un esprit proche de celui insufflé par Jean-François Zobrist chez FAVI.

À ce jour, l’entreprise semble maintenir ces principes sans compromis, en les adaptant à un environnement technologique exigeant.

Sous Xavier Vanderbeck, ce que l’on a pu observer :

  • Auto-organisation des équipes
  • Suppression du management intermédiaire
    Résultat : innovation et bien-être au cœur de la culture

5. SEW Usocome

Secteur : Motorisations industrielles
Dirigeant : Michel Fetz

SEW Usocome, sous la direction de Michel Fetz, continue de faire vivre un modèle de management participatif profondément aligné avec les principes du management libéré. Dès 1989, l’entreprise a initié une culture unique baptisée Perfambiance®, visant à conjuguer bien-être au travail et performance industrielle.

Cette culture repose sur des valeurs clés telles que l’engagement, le respect et l’esprit d’équipe, dans le but de créer un environnement propice à l’autonomie des équipes et à la collaboration transversale.

Plus récemment, SEW Usocome a renforcé cette dynamique avec le Système de Management des Idées (SMI), un programme d’amélioration continue qui valorise les suggestions des collaborateurs et les implique directement dans l’optimisation des processus. Ce système contribue à faire de chaque employé un acteur de la performance collective.

A retenir

  • Autonomie locale
  • Management participatif
    Résultat : performance collective accrue

Ces initiatives témoignent de la pérennité d’un modèle de confiance et d’intelligence collective, fidèle à l’héritage de Zobrist.

6. Kiabi

Secteur : Retail / Mode

À partir de 2017, Kiabi entame une transformation inspirée du modèle libéré. Les équipes en magasin sont empowered, décident de leur merchandising, et les fonctions centrales deviennent des ressources au service du terrain. Le leadership partagé devient une valeur-clé.

A retenir

  • Décision locale en magasin
  • Leadership partagé
    Résultat : transformation vers une entreprise plus agile et humaine

Cette approche vise à révéler les talents, à encourager la responsabilisation et l’autonomie des collaborateurs, en ligne avec les principes du management libéré.

7-Et dans les grandes entreprises : une utopie ?

Si la démarche de Jean-François Zobrist semble plus facilement applicable dans des structures à taille humaine, certaines grandes entreprises s’en sont néanmoins inspirées pour faire bouger les lignes. Chez Michelin, la responsabilisation des équipes a été au cœur de leur programme de transformation Lean, avec une attention portée à l’autonomie des opérateurs. Decathlon, de son côté, a tenté des expérimentations locales de management libéré, où les responsables de rayon recrutent eux-mêmes leurs collaborateurs. D’autres, comme Société Générale avec son programme d’intrapreneuriat interne (Internal Startup Call), cherchent à redonner aux collaborateurs le pouvoir d’agir dans un cadre sécurisé.

Ces tentatives montrent que même dans des environnements très normés, il est possible de semer des graines de confiance et de sens. La clé ? Accepter que l’autonomie ne se décrète pas, qu’elle se cultive, souvent dans les marges, par des leaders audacieux et des collectifs engagés. Le management autrement ne s’impose pas d’en haut : il s’éprouve, se co-construit, et trouve sa voie là où les humains retrouvent leur pouvoir d’agir.

Et si Zobrist avait inventé l’Agilité sans le savoir ?

Sans jamais employer le mot Agile, Jean-François Zobrist en incarne pourtant l’essence. Là où le manifeste Agile met en avant les interactions humaines, la collaboration, l’adaptation et la simplicité, Zobrist supprime les procédures inutiles, fait confiance aux opérateurs et connecte directement les équipes au besoin client.

Valeurs Agile (Manifeste Agile)Approche Zobrist
Les individus et leurs interactions > processusLes ouvriers sont les vrais experts du système
Un logiciel qui fonctionne > documentationLa valeur, c’est ce qui sert le client, pas les procédures
Collaboration avec le client > négociationSuppression du service commercial, lien direct client-opérateur
Répondre au changement > suivre un planL’adaptation permanente, via le terrain
La voie Zobrist et l’agilité

Dans les deux cas, la clé de voûte est la même : la confiance. Une confiance radicale dans les personnes, dans leur capacité à décider, à s’entraider, à progresser ensemble. Bien avant l’agilité formalisée, Zobrist avait posé les bases d’un management organique, fluide, fondé sur le sens et le service.

“L’humain redevient le cœur battant de l’organisation.”


Pourquoi toutes les entreprises ne franchissent-elles pas le pas ?

Si la voie Zobrist inspire tant, pourquoi reste-t-elle encore marginale dans les grandes organisations ? La réponse n’est ni simple, ni linéaire. Ce n’est pas une question de volonté défaillante, mais souvent de peurs légitimes, de cadres contraignants, ou de visions du management profondément ancrées.

Dans un monde fait d’indicateurs, de conformité et de reporting, il peut être difficile d’oser un autre chemin. Le lâcher-prise sur les processus et le contrôle appelle une autre forme de solidité intérieure, où la confiance ne se décrète pas mais se construit, pas à pas.

Pour les managers, cela signifie parfois de redéfinir leur posture. Non plus celle de celui qui sait, décide et surveille, mais celle de celui qui écoute, soutient, et fait grandir les autres. Un rôle exigeant, et profondément humain, que tous n’ont pas encore eu la chance d’expérimenter.

Et puis il y a les systèmes eux-mêmes : les strates hiérarchiques, les silos, les habitudes… Tout ce qui rend la transformation possible, mais aussi plus lente. C’est pourquoi les pionniers jouent un rôle si précieux : en semant localement une autre manière de faire, ils tracent des voies qui, un jour peut-être, deviendront naturelles.


Épilogue : un héritage vivant

Le 10 mars 2025, Jean-François Zobrist nous a quittés, laissant derrière lui bien plus qu’un modèle managérial : un acte de foi en l’humanité, consigné dans un document poignant intitulé simplement « Testament ». Ce texte, rédigé en 2008 et diffusé à titre posthume, réaffirme avec puissance la singularité de sa pensée : un management sans cloison, sans indicateur abscons, sans défiance – mais pleinement centré sur la responsabilité, la confiance, et l’amour du client.

À travers ce testament, Zobrist lègue à ses leaders, ses collaborateurs et à tous ceux qui cherchent une autre voie, une synthèse limpide du système FAVI et de ses valeurs.

🔗 À lire dans son intégralité ici, grâce à Isaac Getz :
Le testament de Jean-François Zobrist sur LinkedIn

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