Gouvernance des données : révélateur des tensions invisibles

Derrière les flux de données se jouent des dynamiques organisationnelles profondes. Et si la gouvernance des données devenait un levier de transformation, révélant les tensions, éclairant les zones d’ombre, et soutenant une agilité vivante ?

Ce que l’on nomme « gouvernance des données » évoque souvent un cadre technique : règles, conformité, risques. Trop rarement, on y associe la notion de culture, de dynamique collective ou d’agilité vivante.

Et pourtant, derrière les flux d’information, se cachent des structures invisibles — héritages, tensions, résistances — qui freinent ou favorisent les transformations à l’œuvre.

La gouvernance ne devrait pas seulement répondre aux exigences réglementaires- Data Act, RGPD. Elle peut devenir un moteur stratégique, un levier de transformation qui fait émerger une organisation plus alignée, plus connectée, plus vivante. Elle devient alors un espace de dialogue entre les cadres organisationnels hérités et les structures en devenir. Elle transforme un passé imposé en un futur choisi.


Structurer sans figer

À première vue, la mission semble simple : organiser qui peut faire quoi, avec quelles données, à quelles conditions. Définir les droits, les responsabilités, les critères de qualité. Structurer pour fiabiliser.

Mais structurer les flux, c’est aussi rendre visibles les blocages. La culture data n’est pas une fin en soi, mais un révélateur des tensions structurelles invisibles.

Quand on commence à cartographier les données, à interroger leur qualité, à tracer leur circulation, plusieurs failles apparaissent.

  • Certaines données n’existent tout simplement pas, car elles n’ont jamais été considérées comme utiles.
  • D’autres sont enfermées dans des silos, gardées pour préserver un pouvoir.
  • Certaines sont redondantes ou douteuses, sans version de référence.
  • D’autres encore sont utilisées sans être jamais questionnées : “on a toujours fait comme ça”.

En les nommant, la gouvernance agit comme une radiographie. Elle rend visibles les dysfonctionnements, les habitudes figées, les tensions culturelles.


La gouvernance des données révèle ce que le management ne voit plus

Ce que le management ne veut — ou ne peut — pas toujours voir, la gouvernance le met à jour en organisant les flux de données . Elle met en évidence :

  • les jeux de pouvoir autour de l’information,
  • les zones de non-droit,
  • les désalignements métiers,
  • les indicateurs vides de sens.

Chaque flux organisé devient une question posée au système.

Pourquoi cette donnée est-elle détenue par un seul service ?
Pourquoi n’est-elle pas partagée avec les équipes terrain ?
Pourquoi ce KPI est-il suivi mais jamais utilisé pour décider ?

La donnée devient un miroir systémique. Elle ne se contente pas de circuler : elle éclaire les asymétries, les frictions, les silences.
Et c’est là que commence la transformation. Car on ne transforme pas ce qu’on refuse de voir. Et l’on ne voit que ce qu’on accepte de structurer.


Un exemple : le catalogue de données

Prenons une entreprise qui lance un catalogue de données pour améliorer sa gouvernance. Très vite, elle découvre :

  • que la donnée client est gérée différemment selon les services,
  • qu’aucune vision unifiée n’existe,
  • que certains refusent de partager par crainte ou habitude,
  • que les équipes terrain n’ont jamais été consultées.

Ce travail de gouvernance révèle alors autre chose : une vision éclatée du client, des outils désarticulés, une organisation qui ne sait plus se dire.


La gouvernance éclaire les structures implicites

La transformation agile se heurte souvent à des murs invisibles.
Des structures implicites qui ne figurent ni sur les organigrammes, ni dans les roadmaps.
Elles se nichent dans les habitudes de contrôle, les peurs de perte de pouvoir, les silos enracinés.

La gouvernance, lorsqu’elle est bien pensée, agit comme un révélateur.
Elle questionne les rôles flous (absence de Data Stewards, de CDO).
Elle interroge les responsabilités diffuses, les décisions silencieuses, les résistances déguisées.

Elle devient un miroir des tensions organisationnelles.


De la contrainte au cadre de confiance

Une gouvernance juste ne bride pas : elle soutient.

Elle ne cherche pas à contrôler, mais à garantir des repères communs, sur lesquels l’autonomie peut s’ancrer.
Elle agit comme un cadre porteur, dans lequel les équipes peuvent créer, explorer, adapter sans se perdre.

Ce n’est pas en supprimant les structures que l’on libère,
c’est en rendant visibles celles qui soutiennent le vivant.


Une gouvernance au service du sens

Pour qu’elle accompagne une culture agile mature, la gouvernance doit :

  • privilégier la lisibilité sur la conformité,
  • favoriser l’appropriation collective plutôt que l’application descendante,
  • faire émerger le sens des indicateurs, plutôt que les imposer.

Gouverner la donnée, c’est choisir la structure qui permet le mouvement, et non celle qui le contraint.


Vers une gouvernance vivante

Une gouvernance des données devient vivante lorsque son objectif est de proposer une forme de pilotage qui ne se contente pas de poser des règles : elle structure sans figer, accompagne sans contraindre, éclaire sans dominer.

Elle s’adapte aux flux d’information réels, à la culture data de l’organisation, et à la manière dont les équipes s’approprient la responsabilité collective. Contrairement à une gouvernance rigide centrée sur le contrôle, elle repose sur des structures organisationnelles évolutives, conçues pour soutenir l’agilité vivante.

Elle rend visibles les silos organisationnels et les zones d’opacité, non pour les sanctionner, mais pour ouvrir un espace de dialogue. En valorisant les indicateurs de sens plutôt que les seuls indicateurs de conformité, elle devient un levier stratégique de transformation agile.

Une gouvernance vivante, c’est accepter que le cadre évolue au rythme du vivant. C’est choisir une forme de management des données capable de révéler les tensions, de les traverser, et de transformer en profondeur la relation entre les humains, les processus et l’information.

La gouvernance pourrait être située , incarnée, évolutive :

  • Située : elle s’adapte aux flux, aux dynamiques du terrain.
  • Incarnée : elle repose sur des rôles explicites, portés par des personnes conscientes de leur impact.
  • Évolutive : elle se transforme avec l’organisation qu’elle soutient.

Elle ne fait pas qu’accompagner la transformation.
Elle l’intensifie.
Elle permet à l’agilité de se déployer en profondeur : au cœur des cultures, des responsabilités, des relations.

Comment mettre en place une gouvernance vivante ?

Et structurer la donnée, les flux de valeur, les parcours et le sens

Avant tout, il s’agit de répondre à une question fondatrice :

“Pourquoi gouvernons-nous la donnée ?”

Pas pour cocher des cases réglementaires, mais pour créer de la lisibilité. Pour rendre visible ce qui compte. Pour révéler la valeur réelle, parfois invisible aux tableaux financiers.

💬 Outil-clé : une charte de gouvernance vivante, co-construite avec les parties prenantes (métiers, IT, RH, clients internes), qui définit :

  • Ce qu’on entend par “valeur” : expérience, confiance, impact, fluidité
  • Ce qu’on veut rendre visible : signaux faibles, attentes latentes, moments clés
  • Ce qu’on accepte de questionner : indicateurs, pouvoir, zones grises

On commence par cartographier les flux de données, mais aussi :

  • les flux de valeur client (ex. parcours d’achat, d’adhésion, d’usage),
  • les flux de valeur collaborateur (ex. onboarding, mobilité, feedback, résilience),
  • les flux d’émotions (ex. verbatims, conversations Teams, signaux faibles RH).

Cela révèle rapidement les silos organisationnels, les trous dans la raquette, les tensions.

💬 Outils-clés :

  • Data Lineage Mapping (flux de données)
  • Impact Mapping ou Value Stream Mapping
  • Cartographie des moments de vérité client et collaborateur

C’est là que la gouvernance devient transformationnelle. On interroge :

  • les données non utilisées ou jamais partagées,
  • les décisions prises sur des KPIs obsolètes,
  • les zones où personne ne se sent responsable,
  • les récits implicites autour de la donnée : “elle est trop sensible”, “elle n’est pas fiable”, “on ne peut pas tout dire”.

Ici, la valeur organisationnelle est en jeu : celle qui traverse les émotions, les frustrations, les contournements.

💬 Posture-clé : accompagner sans juger. Observer, questionner, rendre visible sans accuser.



C’est le moment crucial. On ne plaque pas de nouveaux indicateurs, on les fait émerger à partir :

  • de ce qui est réellement important pour les clients (NPS, effort perçu, clarté)
  • de ce qui rend les collaborateurs plus autonomes, plus résilients (clarté des rôles, soutien perçu, droit à l’initiative),
  • de ce que le système valorise inconsciemment (ou non) : délais, conformité, écoute, apprentissage…

💬 Différencier KPI et KVI :

Clique sur le bouton ci-dessous pour découvrir les déambulations de Romain pour comprendre les indicateurs de valeurs clés

  • En bref,
    • KPI = ce qui mesure une performance attendue
    • KVI = ce qui révèle une valeur vécue

“Et si la donnée n’était pas qu’un outil de pilotage, mais une porte d’entrée vers la réalité vécue par les autres ?”

Le rôle du manager évolue :

  • De contrôleur de résultats à gardien du sens,
  • D’interprète des chiffres à facilitateur de lecture,
  • De producteur de reporting à curateur de conversation sur la valeur.

On l’invite à ne pas s’arrêter aux chiffres, mais à :

  • Explorer ce qu’ils masquent ou ignorent,
  • Confronter l’indicateur au vécu terrain (clients et collaborateurs),
  • Articuler émotion et décision, structure et vécu, donnée et relation.

💬 Exercice-clé : “Et si on racontait un indicateur comme une histoire ?”
(parcours de vie d’un client, ou d’un collaborateur, à travers les données)

C’est exactement la visé des déambulations de Romain de vivre de l’intérieur, une histoire d’indicateurs KVI vs KPI.

Tout à commencer par ce petit atelier pour apprendre à rédiger des KPI et des KVI qui résonnent. Essaye si tu veux.

Mettre en place une gouvernance vivante, c’est :

  • Créer un cadre souple qui soutient le mouvement
  • Faire des données un langage commun, lisible et partagé
  • Déplacer la conversation de la performance vers le sens
  • Accepter de regarder ce que l’on n’ose pas encore voir

Et peut-être, au cœur de ce processus, permettre aux managers, clients et équipes de se réapproprier ce qu’est vraiment la valeur : ce qui nous relie, ce qui nous transforme, ce qui nous rend plus vivants


Conclusion

En réconciliant rigueur et vivant, cette approche de la gouvernance des données devient un catalyseur de transformation agile. Elle éclaire les silos organisationnels, soutient la culture data, et rend visibles les structures capables de porter une agilité profonde et située.

Loin d’un sujet technique, la gouvernance des données nous invite à regarder autrement ce que l’on tient pour évident : la vérité, l’autonomie, la manière dont l’organisation se raconte.

Elle est un miroir. Un levier. Une partition.

Bientôt, dans le journal de Romain, un étudiant en quête de sens dans ses indicateurs, une phrase nous interpellera :
“Regarder les données, c’est se regarder en face.”
Ce miroir personnel fait écho à ce que nous explorons ici : une gouvernance vivante ne contrôle pas, elle révèle. Elle interroge les flux, les silences, les indicateurs qui font vraiment sens.

📅 Rendez-vous jeudi sur In Imago pour découvrir l’épisode 4 de sa déambulation.

À condition qu’on accepte d’y voir autre chose qu’un jeu de cases à cocher.
Alors peut-être, pourrons-nous réconcilier rigueur et sens, structure et vivant, gouvernance et agilité. Essayons !

Dominique, auteure de “Manager Autrement”
www.in-imago.com | INTENSIO — pour des transformations incarnées